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Le blog d'Annaboule

Coup de coeur : La Pièta d'Hippolyte Flandrin

Hippolyte Flandrin, Pièta, 1842, Musée des Beaux-Arts de Lyon

Parfois on est soudain interpellé par quelque chose. Sans que ce soit vraiment explicable, cette vision nous parle, fait écho à ce qui existe déjà en nous. Elle nous happe, et on peut rester là très longtemps, sans se lasser de plonger dans les profondeurs d'une perspective inédite. Ça s'appelle un coup de cœur !

Hippolyte Flandrin, que je ne connaissais pas, est un peintre français qui vécut de 1809 à 1864 entre plusieurs mouvements artistiques. En effet il est à la fois contemporain du fiévreux romantique Eugène Delacroix et élève du très honorable J. A. D. Ingres qui, lui, est plutôt de l'école néo-classique. Il restera tout de même plus ou moins dans la veine de son maître, et excellera dans la réalisation de portraits et de peinture d'histoire. Mais c'est surtout dans la peinture de religion que toute sa sensibilité va s'épanouir.

Eugène Delacroix, La mort de Sardanapale, 1827 : Mouvement, couleurs vives, expressivité = romantisme

J.A.D. Ingres, La princesse de Broglie, 1853 : C'est plus posey comme délire, on est d'accord

La Pièta de Flandrin est un peu un OVNI selon moi dans l'oeuvre de l'artiste puisqu'il n'a rien d'académique et encore moins néo-classique ; et si jamais je m'emballais, j'irais jusqu'à dire qu'il me fait penser au symbolisme (qui n'apparaîtra que cinquante ans plus tard) par son aspect très sombre et presque fantastique. Cet aspect est probablement accentué par le fait que ce tableau ne semble pas tout à fait achevé ; et le doute qui plane à ce sujet demeurera toujours. Mais malgré tout l'essentiel est là : l'atmosphère, le message, les sentiments exprimés.

Ce qui m'a frappé dans ce tableau est lié au sujet de la pièta qui fait partie des épisodes récurrents dans la peinture de religion, surtout depuis la Renaissance. Il faut savoir que dans l'histoire de l'art, il y a un grand nombre de thèmes récurrents, des sujets que l'on retrouve un peu partout, à toutes les sauces, parfois au service d'un message précis. La pièta (vierge de pitié en français) est un thème riche en émotion puisqu'il s'agit de la Vierge pleurant la mort de son fils au pied de la Croix : c'est la mater dolorosa. Autant dire que c'est un sujet tout indiqué pour un artiste qui aurait envie de parler du deuil, de la maternité, de la souffrance... Ou encore de la résignation face au destin comme chez Michel-Ange. En somme, il y a de nombreuses façons de traiter un même sujet, et c'est cette récurrence qui enrichit la lecture d'une oeuvre. Car cette oeuvre fait écho à toutes celles qui l'ont précédée en traitant du même sujet, et y ajoute un nouveau sens.

La Pièta de Michel-Ange, marbre, 1498 - 1499

C'est ainsi qu'Hippolyte Flandrin nous livre une Pièta déjà chargée d'histoire car nous sommes déjà à la période contemporaine, et c'est ce que j'ai tout d'abord ressenti en tombant par hasard sur ce tableau. Car lorsque, au bout d'une dizaine de siècles, c'est bon, on a compris ce que c'est la pièta, plus besoin d'être clair ; on peut se donner la liberté de la représenter comme on veut, tout le monde comprend le message. Et ce qu'on remarque en premier, c'est que la Vierge éplorée n'a pas de visage. C'est à peine si l'on aperçoit la couleur de ses avants-bras dans la noirceur de son manteau. Comme une coquille vide, épuisée d'avoir été tant de fois représentée en position de souffrance, comme un citron que l'on aurait trop pressé. Le personnage de la Vierge, dépouillé de toute identité, n'existe plus qu'en tant que symbole brut de la douleur

Car ce que l'artiste a voulu figurer ici, c'est avant tout la douleur engendrée par le deuil. Et il est d'autant plus sincère que l'année où Flandrin peint ce tableau, il vient de perdre son frère Auguste, peintre lui aussi, décédé à l'âge de trente-huit ans seulement. La Vierge apparaît comme un fantôme, sans corps, avalée par l'obscurité, alors que le Christ défunt a encore toute son intégrité physique, et brille même d'une lumière mystérieuse dont la provenance n'est pas déterminée. Ici, c'est le vivant qui semble mort, dévasté par le chagrin, et le mort qui semble encore plein de vie, comme le souvenir de lui qui subsiste dans la mémoire de ses proches.

Si ce tableau m'a émue, c'est qu'il exprime, et pour cause, très sincèrement et humainement les sentiments liés au sujet traité. C'est une oeuvre, comme toutes les autres, fidèle au caractère de l'artiste : tout dans la subtilité, la modestie, la pudeur et l'authenticité. Caractéristiques qui se retrouvent aussi dans son tableau le plus célèbre, Jeune homme nu assis au bord de la mer, dans lequel on admirera la douceur de la lumière et l'atmosphère méditative.

Hippolyte Flandrin, Jeune homme nu assis au bord de la mer, 1836

J'espère que cette découverte vous aura parlé autant qu'à moi, pour ma part c'est un plaisir de la partager avec vous !

Annaboule

Petite bibliographie pour ceux qui sont chauds :

Ch.-L. Duval, Eugène Delacroix et Hippolyte Flandrin : parallèle : Le Salon de 1864 sur Gallica

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